Un pays peut-il avoir trop de logements sociaux ?
Isabelle Rey-Lefebvre, Le Monde, lundi 31 mai 2010
Les organisations néerlandaises spécialisées dans le logement social sont en colère contre la Commission européenne. Bruxelles a en effet obligé Amsterdam à limiter l’accès du parc HLM aux ménages dont les revenus sont inférieurs à 33 000 euros par an. Dès 2005, la direction générale de la concurrence de la Commission européenne dénonçait "l’offre surabondante de logements sociaux" aux Pays-Bas, qui constitue à elle seule 35 % du parc, tous logements confondus, contre par exemple 17 % en France, moins de 5 % en Espagne et en Italie, mais 22 % en Suède, où l’on parle d’ailleurs plus volontiers de "logement public".
Quelque 500 associations et fondations néerlandaises détiennent, en effet, 2,4 millions de logements, souvent de très bonne qualité, attribués aux personnes qui rencontrent des difficultés pour trouver un toit adapté à leurs revenus et à leur situation personnelle, familiale, de santé, professionnelle...
Contrairement à la France, il n’y a pas, aux Pays-Bas, de plafond de ressources mais des critères de priorité laissés à l’appréciation des loueurs et des municipalités. Et c’est bien ce que la Commission européenne reproche à ce système, estimant que le logement social, pour être reconnu Service d’intérêt économique général (SIEG), doit être réservé aux ménages socialement défavorisés. Au nom du principe de la concurrence libre et non faussée, seuls les SIEG peuvent, selon Bruxelles, bénéficier d’avantages économiques de l’Etat (exonérations fiscales, prêts bonifiés, subventions...). C’est la raison pour laquelle elle a demandé au gouvernement néerlandais d’introduire cette notion de plafond de ressources.
"Chaque pays a sa conception du logement social, qui peut être universel et accessible à tous, résiduel et réservé aux ménages très pauvres, ou encore, comme en France, généraliste et ouvert aux classes moyennes, estime Laurent Ghekière, chargé des relations internationales à l’Union sociale pour l’habitat (USH), qui regroupe 800 organismes HLM français. La Commission européenne n’est pas juridiquement compétente et n’a aucune justification démocratique pour définir la politique des Etats membres dans ce domaine. D’ailleurs, aux Pays-Bas, les avantages de l’Etat dont bénéficie le secteur HLM sont très restreints et se résument à une simple garantie d’emprunt."
"Exclure du parc social les locataires qui gagnent plus de 33 000 euros, c'est conduire les ménages disposant d'un double revenu à acheter leur logement ou à en louer un plus cher. Cela concerne près d'un demi-million de foyers", s'inquiète Ria Koppen-Kreyn, directrice de Haagwonen, un des principaux bailleurs sociaux néerlandais, basé à La Haye.
Pour elle, "les conséquences, à long terme, sont désastreuses. L'attribution de logements selon les revenus engendre une ghettoïsation des quartiers, une ségrégation par catégorie de revenus, et on peut s'attendre à une stagnation de la construction" dans la mesure où les plus gros producteurs de logements sont les bailleurs sociaux.
Cette injonction de Bruxelles fait donc l'objet d'un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) déposé le 30 avril par 133 organismes néerlandais de logement social, et soutenu par des associations de locataires et le Comité européen de coordination de l'habitat social (Cecodhas). C'est l'un des premiers dossiers que le nouveau gouvernement néerlandais, qui sera issu des élections législatives se tenant début juin, devra ouvrir.
Isabelle Rey-Lefebvre